Freddy et Christophe, deux chauffeurs routiers sourds er doué aux Ayvlles

Freddy garde précieusement le magazine référence du milieu des routiers où il fait la Une.
Freddy Jacquemart et Christophe Moity font figure d’exception dans le monde des chauffeurs poids lourds. Les deux salariés de l’entreprise Broyer ont surmonté leur handicap pour s’offrir une vie professionnelle rêvée sur les routes de l’hexagone. Les camions sont garés à la perfection, le ronronnement caverneux des poids lourds berce la fin de matinée dans la cour de la société Broyer frères située aux Ayvelles. Freddy et Christophe, plantés au milieu des bahuts, communiquent par la langue des signes dans un brouhaha qui ne les concerne pas. Ils sont sourds de naissance. Et derrière un volant, ils sont des chauffeurs routiers presque comme les autres. À 24 ans, Freddy le Carolomacérien respire poids lourd et grosse motorisation depuis l’enfance.

Du gazole dans le sang
Emmanuel Lavoisier, un collègue expérimenté, décrit le bonhomme en imageant : « Freddy, il a du gazole dans le sang. » Une passion irraisonnée pour les semi-remorques qu’il assouvit chaque fois qu’il quitte la cour du siège de l’entreprise pour traverser la France à bord de son impressionnant DAF. « Il nous a fallu quand même casser des barrières pour obtenir le permis de conduire poids lourds, raconte Christophe. Nous sommes une cinquantaine de chauffeurs routiers sourds en France, bus et poids lourds inclus. » Son jeune collègue lit sur ses lèvres et acquiesce avant de renseigner son parcours : « J’ai suivi ma scolarité dans une structure spécialisée sur Paris. J’ai même validé un bac pro en prothèse dentaire. Mais les camions, c’est là, dans mon coeur et j’ai toujours voulu faire ça. » Freddy va d’ailleurs changer de vitesse via le levier Mission locale (Milo) relayée par l’Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) pour suivre une formation chauffeur routier. Un médecin valide son ambition, Freddy décroche son permis de conduire notifié C en 2018.

Des professionnels de qualité
Freddy et Christophe sont pleinement intégrés au sein de leur entreprise, car leur compétence est indiscutable. Romain Broyer, le gérant de la société qui compte 24 employés, confirme : « Je les embauche de suite si on me présente d’autres chauffeurs comme ces deux-là. Freddy a d’abord été stagiaire chez nous quand il préparait son permis super lourd. On l’a embauché dans la foulée car on a vu le chauffeur routier à l’œuvre. » Christophe l’a d’ailleurs rejoint dans cette entreprise à la dimension familiale il y a un an. « J’ai quitté mon emploi dans le Nord, j’étais mis à l’écart. On m’ignorait presque. Freddy m’a conseillé de postuler chez Broyer et c’est vrai qu’ici les différences n’existent pas. », souligne le quadragénaire.

Des collègues comme les autres
Une question se pose inévitablement, être sourd est-il pénalisant quand on conduit un engin de 44 tonnes sur la voie publique ? « Non, on se concentre deux fois plus au niveau visuel, et la radio ne risque pas de nous distraire. Et Freddy pourrait d’ailleurs conduire les yeux fermés », sourit Christophe. Freddy traîne cette solide réputation d’exceller niveau conduite. Le jeune homme au physique longiligne, la bouille juvénile et au regard pétillant inspire confiance. Tatouage V8 en haut du biceps prolongé par un camion encré sur l’avant-bras, boucles d’oreille et lunette de soleil, Freddy se la jouerait presque routier beau gosse. Et il a bien raison. Le patron, Romain Broyer, ne cache pas une affection particulière pour son jeune protégé : « Freddy est souriant, dynamique, passionné et toujours positif. Alors oui et personne ne me contredira, c’est un peu le chouchou. »
La cabine s’illumine à l’heure du réveil
L’handicap invisible s’oublie au cours de la conversation quand on observe les deux hommes. « Des collègues comme les autres, lance Emmanuel Lavoisier. On leur tape juste sur l’épaule pour les prévenir si on veut leur parler. » Les sms restent un moyen de communication privilégié quand Freddy et Christophe sont sur la route. « On fait aussi des visios depuis notre cabine avec Freddy pendant les pauses, comme tout le monde. On utilise juste la langue des signes », confie Christophe. Même les réveils ne sont pas un problème quand ils dorment dans leur couchette arrière. Un astucieux montage bluetooth relié au téléphone portable permet à des flashs d’illuminer la cabine quand vient l’heure de reprendre la route.
